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alain de benoist - Page 128

  • De droite et de gauche !... (1)

    Nous reproduisons ici un entretien de François Bousquet, rédacteur en chef du Choc du Mois, avec Alain de Benoist et Michel Marmin, publié dans l'avant-dernier numéro de la revue Eléments (n°136, juillet-septembre 2010). Une mise au clair passionnante sur les évolutions de la Nouvelle Droite au cours de ces dernières années...

    Compte tenu de la longueur de cet entretien, nous le publions en deux parties. Bonne lecture !

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    La Nouvelle Droite est-elle de gauche ?

    François Bousquet : Certains observateurs ont probablement été déroutés par des orientations, perçues comme «gauchisantes», que vous avez suivies depuis une douzaine d’années et sont fondés à se poser la question de savoir si la Nouvelle Droite est aujourd’hui de droite ou de gauche. Où la situer ?

    Alain de Benoist : Tu parles comme s’il existait une droite et une gauche unitaires, ou comme si la droite et la gauche formaient un continuum par rapport auquel on pourrait déplacer le curseur pour marquer la place occupée par tel ou tel. Mais cela n’a jamais été le cas. Certaines orientations peuvent s’observer à droite sans être approuvées par toutes les droites, aussi bien qu’à gauche sans être approuvées par toutes les gauches. Se demander si la ND est «aujourd’hui de droite ou de gauche» n’a donc guère de sens, car il faudrait commencer par définir la droite et la gauche, ce que les politologues n’ont jamais su faire d’une manière qui ait fait l’unanimité. Cela dit, il est incontestable que, depuis quinze ou vingt ans, la ND se réfère plus fréquemment qu’avant à certains auteurs généralement classés à gauche, ou qu’elle reprend à son compte certains de leurs arguments. Si certains s’en trouvent «déroutés», c’est qu’ils n’ont pas bien compris ce qu’est la ND ni, d’une façon plus générale, en quoi consiste un travail d’élaboration idéologique ou théorique.

    Toute praxis intellectuelle vivante se doit d’être à la fois dynamique et ouverte. Dynamique, cela signifie que les idées ne sont pas quelque chose de figé, comme un bien précieux qu’il faudrait placer dans un coffre-fort, mais qu’elles ont en permanence à être travaillées. Les idées se prouvent en s’éprouvant. Une fois énoncées, on doit encore les confronter à de possibles objections, en explorer les conséquences logiques, en examiner les limites. C’est la base même de tout travail de la pensée. Travail éminemment dialectique, et qui ne saurait avoir de fin. Ouverte, cela signifie que la dernière chose à faire quand on cherche à évaluer la valeur de vérité d’une idée, c’est d’y apposer a priori une étiquette. Que telle ou telle idée soit apparue à gauche ou à droite, à tel ou tel moment, ne nous dit strictement rien de ce qu’elle vaut. Le but n’est pas d’identifier des idées «de droite» ou «de gauche»,mais des idées justes. Et leur justesse ne dépend en aucune façon de leur lieu d’origine.

    Ma conviction est par ailleurs que l’une des grandes caractéristiques de la modernité a été d’instituer des dichotomies ou des oppositions qui n’ont pas lieu d’être : l’âme et le corps, l’inné et l’acquis, la conservation et le changement, la liberté et l’égalité, etc. La plupart des ces oppositions doivent être surmontées et dépassées (au sens de l’Aufhebung hégélienne). L’opposition droite-gauche fait partie de ces couples antagoniques qui, selon les époques et les lieux, ont pu revêtir des formes différentes,mais ne correspondent aujourd’hui pratiquement plus à rien. Or, l’une des aspirations les plus constantes de la ND a toujours été de parvenir à de nouvelles synthèses.

    Il faut aussi tenir compte des circonstances sociales-historiques. Un corpus théorique n’a de pertinence intrinsèque et de chance d’exercer une certaine influence que dans la mesure où il tient compte des évolutions du champ social, lequel s’est profondément modifié depuis trente ans dans les pays occidentaux. Les hégémonies dominantes, les modes de production, les mécanismes de contrôle social, ne sont pas les mêmes aujourd’hui qu’à l’époque où la ND est apparue, à la fin des années 1960, ni même qu’il y a vingt ans, au moment de la chute du Mur de Berlin. Être conscient du moment historique que l’on vit est essentiel. Les gens qui, à vingt ou trente ans d’intervalle, répètent exactement la même chose n’en sont visiblement pas capables. Ils aggravent leur cas en parlant de «fidélité», sans réaliser que ce terme n’est que l’alibi de leur paresse intellectuelle ou de leur rigidité mentale. Lors des dernières élections régionales, j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres un tract de l’UMP appelant à «sauver la jeunesse du péril gauchiste». C’était atterrant de bêtise. Croire qu’en 2010, ce qui menace la jeunesse, c’est le «péril gauchiste»,montre vraiment que ces gens-là se trompent d’époque.

     

    François Bousquet : C’est la première fois que j’entends parler de «péril gauchiste». De nos jours, c’est plutôt l’épouvantail fasciste qu’on brandit à tout bout de champ…

     

    Alain de Benoist : Laissons les épouvantails. Ce que je veux dire, c’est que nous ne sommes plus à l’époque où l’extrême gauche marxiste (pour schématiser) régnait sans partage sur l’intelligentsia dominante. (Il n’y a plus aujourd’hui que le journal intégriste catholique pro-américain Présent pour s’imaginer que Le Monde est un quotidien «trotskyste»!). Aujourd’hui, l’idéologie dominante correspond à la double thématique des droits de l’homme et du marché. Et c’est par rapport à elle que doit se positionner une pensée critique radicale, c’est-à-dire soucieuse d’aller aux racines.

    Le fait dominant aujourd’hui, c’est l’extension planétaire de l’idéologie de la marchandise et du système de l’argent, accélérée par une mondialisation qui va de pair avec l’américanisation (sans en être synonyme: les États-Unis en sont le principal vecteur et le principal bénéficiaire,mais ils n’en sont eux-mêmes qu’un rouage). Le vrai «choc des civilisations», actuellement, c’est la guerre des États-Unis contre le reste du monde, et la résistance des peuples à l’arraisonnement du monde par l’infinité du capital, ce mélange d’hubris et d’apeiron qui était déjà le principal ressort de la chrématistique. C’est ce qui m’a amené à écrire que l’ennemi principal est aujourd’hui le capitalisme et la société de marché sur le plan économique, le libéralisme sur le plan politique, l’individualisme sur le plan philosophique, la bourgeoisie sur le plan social et les États-Unis sur le plan géopolitique.

    Si l’on se situe dans cette perspective, alors on doit aussi admettre que, dans les circonstances présentes, chaque fois que le gouvernement d’un pays occidental passe à droite, ce n’est pas à une amélioration des choses que l’on assiste,mais à une aggravation. La droite au pouvoir, aujourd’hui, cela signifie plus de libéralisation des échanges, plus de mondialisation, plus d’atlantisme pro-américain, plus de libertés données à la Forme-Capital et au système de l’argent. Et de fait, les pires chefs d’État ou de gouvernement de ces dernières décennies ont été ou sont encore les Margaret Thatcher, George W. Bush, José Maria Aznar, Silvio Berlusconi, Nicolas Sarkozy et autres Lech Kaczynski, en attendant les Gianfranco Fini, les David Cameron, les Geert Wilders ou les Sarah Palin! (Cela ne veut pas dire, bien entendu, que je pense grand bien de leurs adversaires de gauche, mais tout simplement qu’avec eux, c’était pire).Une certaine droite,malheureusement, déplore tous les jours la mondialisation tout en ne cessant, de manière réflexe, de s’ingénier à mettre au pouvoir ceux qui vont en accentuer les aspects les plus négatifs.

     

    François Bousquet : Exception faite de Reagan et de Thatcher, le modèle de tous ces gens-là, n’est-ce pas plutôt Tony Blair qui l’a posé ?

     

    Alain de Benoist : Tony Blair, avec sa pseudo «troisième voie», est surtout un exemple typique de la dégénérescence «moderniste» de la gauche et de la façon dont elle a rejoint la pire des droites. La droite, dans le passé, avait pourtant su s’élever contre le système de l’argent, car celui-ci contredisait à angle droit ses valeurs traditionnelles. Au XIXe siècle, notamment, une grande partie de la droite s’oppose d’autant plus au libéralisme et à l’individualisme qu’elle sait très bien que ces doctrines sont intrinsèquement liées à la philosophie des Lumières. Il se trouve,malheureusement, que cette critique s’est atténuée peu à peu, tant en raison de la baisse évidente des capacités théoriques de la droite (qui s’explique en partie par des raisons historiques) que de son embourgeoisement et de son goût immodéré pour le pouvoir, qui ont entraîné son ralliement de fait à l’idéologie libérale. De son côté, une certaine gauche s’est aussi élevée contre le système de l’argent, non parce qu’elle se réclamait des mêmes valeurs que la droite, mais parce qu’elle était surtout sensible aux dégâts sociaux résultant de l’exploitation des travailleurs par le capital. Comme cette gauche a, depuis au moins un siècle, largement surclassé la droite pour ce qui est du travail théorique, il est tout à fait normal que, dans ce domaine, ce soit «à gauche» que l’on trouve encore aujourd’hui des éléments de théorie critique auxquelles on puisse se référer, qu’il s’agisse des travaux des socialistes français, de George Orwell, de Walter Benjamin, de Karl Polanyi, de Castoriadis, d’André Gorz, de Jean-Claude Michéa, etc. Même si l’ennemi de mon ennemi n’est pas automatiquement mon ami, il ne peut qu’en résulter certaines convergences objectives. Mais cela ne signifie nullement que ces bases théoriques puissent être attribuées à «la gauche» dans son ensemble, puisqu’une large partie de cette gauche a elle aussi été infectée par la logique de la société de marché.

    Tu parles de ceux que la démarche de la ND – démarche de recherche et d’études, rappelons-le – a pu «dérouter ». Elle déroute naturellement ceux qui, enmatière de routes, ne se sentent à l’aise que sur les chemins familiers. Il fait bon parcourir les chemins familiers. On s’y sent bien. L’inconvénient, c’est qu’on n’y découvre jamais rien. Pour parfaire un itinéraire, trouver des choses nouvelles, il faut emprunter des chemins de traverse. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours affectionné tout particulièrement les auteurs qui ont eu des itinéraires eux aussi transversaux, qu’il s’agisse de Georges Sorel, de Georges Valois, d’Édouard Berth, d’Ernst Niekisch et de bien d’autres. (On pourrait même y ajouter Marx, si l’on tient compte de ses facettes les plus contradictoires). Ils ont plus découvert que les autres.Ayant plus découvert, ils ont aussi plus apporté.

     

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    François Bousquet : Mon impression est que, venant de la droite, vous vous montrez aussi impitoyable à son encontre que Christopher Lasch, venant lui de la gauche américaine, l’a été à l’égard de sa famille d’origine…Question plus personnelle et j’allais dire plus existentielle : vous-mêmes,Alain de Benoist et MichelMarmin, en quoi vous percevez-vous «de droite» ou «de gauche»?

     

    Alain de Benoist : L’important, àmon avis, est de pouvoir se réclamer de l’une et de l’autre enmême temps – tout en sachant, pour les raisons que je viens de dire, qu’on ne pourra jamais se réclamer que d’une certaine droite (et non de toutes) et d’une certaine gauche (et non de toutes). Personnellement, je n’ai jamais eu l’esprit de famille. Cela veut dire que j’essaie d’avoir une pensée personnelle, que je n’arrête pas mes idées en me demandant ce qu’il convient d’en penser dès lors que l’on appartient à tel ou tel groupe. Parmi les 400 ou 500 personnes avec lesquelles je suis aujourd’hui en contact plus ou moins régulier, il y a à peu près autant d’hommes «de droite» que «de gauche». Je pourrais ajouter qu’intellectuellement je penche souvent à gauche, alors que je penche nettement à droite pour ce qui est des valeurs (l’éthique de l’honneur). Gabriel Matzneff a dit de Byron qu’il «avait un tempérament de droite et des idées de gauche». Être un «homme de gauche de droite» me convient tout à fait.

     

    Michel Marmin : Quant à moi, je me reconnaîtrais plus volontiers dans Stendhal que dans Byron. Les «idées de gauche» de Byron procèdent d’un sentimentalisme, certes bien placé, et d’ailleurs courageux,mais que l’on peut assimiler à une sorte de crise de conscience de classe assez répandue dans l’aristocratie européenne de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe. Elles participent peut-être aussi, du moins en partie, de son dandysme (qui, lui, est bel est bien «de droite»)… Byron me fait penser, en moins velléitaire bien entendu et surtout avec beaucoup plus de panache, au héros du film Allonsanfan des frères Taviani, un aristocrate italien engagé aux côtés des Carbonari dans l’Italie de la Restauration post-napoléonienne. Stendhal, c’est un peu le contraire. C’était un enfant de la Révolution française, qui avait bruyamment exulté à l’annonce de l’exécution de Louis XVI et dont les idées étaient clairement «de gauche», mais que son esthétisme, son hédonisme et son scepticisme moral déportaient non moins clairement «à droite».Au XXe siècle, on pourrait retrouver ce type d’ambiguïté (ou d’ambivalence) avec Aragon comme pendant de Byron et Roger Vailland comme pendant de Stendhal… Et sans multiplier les exemples de chassé-croisé gauche-droite droite-gauche, que dire de Balzac qui, avec des idées parfaitement réactionnaires et assumées comme telles (avec des nuances quand même), a délivré un tableau de la société française dont Marx et Engels feront leur miel ?Tout ceci pour simplement montrer qu’il y a mille façons d’être à la fois «de droite» et «de gauche» et de naviguer de l’un à l’autre pôle…L’histoire de la Nouvelle Droite pourrait alors bien être celle d’une navigation, d’autant plus compliquée que cette histoire est aussi celle d’une fédération instable de parcours individuels plus ou moins erratiques ! Cela peut évidemment dérouter. Mais le propre de la ND n’est-il pas justement de ne pas tracer de route,mais d’explorer des chemins ?

     

    François Bousquet : Balzac est assurément plus grand que la préface générale de La comédie humaine, où il se définit comme auteur catholique et légitimiste, mais enfin il l’a écrite. Quant à la critique marxiste de Balzac, il lui est certes arrivé d’être géniale, surtout chez Georg Lukács, mais elle passe complètement à côté de la question centrale de La comédie humaine, à savoir : la charité peut-elle, oui ou non, racheter la laideur du monde ?Va expliquer cela à un marxiste !

     

    Michel Marmin : J’ai simplement dit que Marx et Engels avaient lu Balzac avec profit, je n’ai pas dit que Balzac était marxiste ! Sur la «question centrale» de son œuvre, je me bornerai à constater que nombre de chrétiens, notamment en Amérique latine à l’époque de la théologie de la libération, ont intégré sans difficulté les principales analyses de Marx à leur vision et à leur action, tels Gustavo Gutiérrez ou Enrique Dussel.Ces gens-là, un peu oubliés aujourd’hui et dont Jacques Paternot et Gabriel Veraldi ont fait un portrait passionnant (et d’ailleurs critique) dans leur roman Le dernier pape, n’avaient pas besoin qu’on leur explique ta question: ils t’auraient répondu que la révolution est la charité même. En remontant plus loin, on pourrait également citer le Front des chrétiens révolutionnaires de Maurice Laudrain, fondé en 1935 et dont la revue, Terre nouvelle, se consacrait au rapprochement entre christianisme et communisme. Les exemples pourraient être multipliés à l’infini, sans omettre certains textes de Marx et Engels eux-mêmes bien entendu. L’un des plus émouvants reste sans doute celui de la poétesse mystique Madeleine Delbrêl (1904-1964), actuellement en procès de béatification, qui travailla comme assistante sociale en banlieue communiste, dans les années 1930, et qui écrivait :«Dans le Parti communiste, je suis persuadée que le mobile le plus puissant qui fasse agir un militant est, très souvent, pour ne pas dire le plus souvent, l’amour […] L’expérience communiste, qui est une grande expérience, est l’expérience d’un amour.» Devrait évidemment s’ensuivre un débat sémantique, philosophique, théologique et historique, mais il nous éloignerait du sujet de notre discussion…

     

    François Bousquet : Vous vous êtes séparés de la droite sans être pour autant accueillis par la gauche. Est-ce la droite qui a cessé de vous aimer ou vous qui avez cessé d’aimer la droite ? Que lui reprochez-vous finalement ? Et que reprochez-vous à la gauche ?

     

    Alain de Benoist : Le but n’a jamais été d’être «accueillis» ou reconnus par quiconque. Le travail des idées ne peut obéir, en tant que tel, à des considérations stratégiques (s’il y obéit, il se renie lui-même). Il consiste à dire ce qu’on pense. Et ce n’est pas non plus une affaire de sentiments : amour et désamour n’entrent pas en ligne de compte ! Mais tu as raison: s’il y a des choses à prendre à droite comme à gauche, il y a aussi beaucoup de choses à leur reprocher. Encore faut-il distinguer les reproches de fond et les reproches de circonstance.

    À mon sens, ce que l’on peut le plus reprocher à la gauche – encore une fois, je prends le terme de façon conventionnelle : il s’agit seulement d’examiner des thématiques qui, historiquement, ont été plus fréquemment attestées «à gauche» –, c’est d’abord son irréalisme concernant la nature humaine, et ensuite son universalisme politique. Cet irréalisme lui fait croire que l’homme est partout lemême, en sorte que ce qui vaut pour un peuple vaut aussi bien pour un autre (c’était le credo de Condorcet), et qu’il est en outre modifiable ou perfectionnable à l’infini. Saine réaction contre des déterminismes trop rigides,mais aussi claire dimension d’utopie, qui méprise volontiers les enseignements de l’histoire et rend incapable de comprendre les raisons pour lesquelles la philosophie des Lumières n’a pas tenu ses promesses d’émancipation. La gauche, en outre, a trop souvent repris à son compte la thématique fondamentale de l’idéologie du progrès, ce qui explique qu’elle soit si souvent tombée dans l’historicisme. Ajoutons-y encore – cela va de pair avec l’universalisme – sa faveur pour lesmorales déontologiques de type kantien et, dans sa défense légitime des opprimés et des exploités, un certain dolorisme qui la porte à considérer que la faiblesse est une valeur en soi et que les victimes ont raison, non du fait de telle ou telle condition sociale-historique,mais du seul fait qu’elles appartiennent à la catégorie des dominés.

    La droite est plus réaliste,même si ce réalisme est fortement entamé par ses perpétuelles aspirations restaurationnistes («c’était mieux avant !»), fondées sur la nostalgie, l’idéalisation du passé et le goût de l’histoire-refuge. Ce que je lui reproche essentiellement, c’est de confondre l’appartenance et la vérité, tombant ainsi dans le trait majeur de la modernité : la métaphysique de la subjectivité. Concrètement, la droite a tendance à reprendre à son compte l’idéologie individualiste en se bornant à élargir le «je» (j’ai tous les droits) en «nous» (nous avons tous les droits). Elle a ses préférences, qui sont légitimes et naturelles,mais elle en conclut que ce qu’elle préfère est objectivement supérieur ou meilleur, ce qui n’est pas nécessairement vrai. Elle n’a pas tort, par ailleurs, de vouloir réhabiliter la notion d’autorité,mais son goût de l’autorité la rend généralement incapable de s’intéresser aux mécanismes de contrôle social et indifférente aux processus d’exploitation du travail vivant. Professant un unanimisme souvent mystificateur (l’«unité nationale») qui détourne l’attention des rapports sociaux, elle est tout autant incapable de prendre en compte les facteurs de classe. C’est pourquoi elle a si souvent été du côté du désordre établi, des exploiteurs et des plus forts (au seul motif parfois qu’ils étaient les plus forts, ce qui l’a fait glisser sur la pente du darwinisme social, du colonialisme et du racisme).Mentionnons encore, en dépit même de l’unanimisme dont je viens de parler, son irrésistible tendance à s’en prendre à des catégories d’hommes (les «hommes en trop») plutôt que de s’employer à réfuter des idées fausses.

    Si l’on en vient aux critiques de circonstance, la première chose qui saute aux yeux est que la plus grande partie de la droite se trouve aujourd’hui dans un état intellectuel proche de l’encéphalogramme plat. Les uns ressassent leurs obsessions nostalgiques ou publient le 3001e article sur un auteur auquel ils en ont déjà consacré 3000. Les autres continuent, depuis plus d’un siècle, d’en appeler au «sursaut national», à l’«union des patriotes » et autres inusables calembredaines. D’autres encore font des pèlerinages et des veillées de prière, car c’est bien sûr le Sacré-Coeur qui sauvera la France ! Je ne parle pas ici de ceux qui croient que Saint-Loup est un auteur plus important que Max Weber – ces cas-là sont désespérés. Le fait est que les grands auteurs de droite ont disparu les uns après les autres sans avoir été remplacés. En dehors de certains milieux libéraux et de certains milieux chrétiens, exceptions notables, la droite ne lit presque plus rien, sinon quelques auteurs fétiches qui font partie des meubles de famille. Épurée à plusieurs reprises, souvent (injustement) ostracisée, et parfois même persécutée, elle paie le prix de tous les combats qu’elle a perdus avec une remarquable régularité. Elle a aussi des excuses : l’esprit ambiant, la montée de générations peu curieuses, la destitution de l’écrit.Mais enfin, les faits sont là : ce n’est pas sur elle qu’on peut compter pour analyser la gouvernance, les mécanismes du marché, l’apparition d’un capitalisme post-bourgeois et post-prolétarien, pour critiquer la morale disciplinaire ambiante qui vise à conformer l’individu au désir d’échange, pour produire une psychologie des émotions, une théorie de l’érotisme, une doctrine épistémologique, une méthode sociologique qui lui soit propre. Incapable de créer en France un journal comparable à ce qu’est l’hebdomadaire Junge Freiheit enAllemagne, elle reste, comme toujours, pratiquement muette sur les luttes sociales et les problèmes économiques, s’en tenant dans le meilleur des cas à une «critique artiste» de la logique du capital, quand elle ne tombe pas dans la dénonciation rituelle des «banquiers » et des «gros», ou dans l’apologie du bon capitalisme (industriel) enraciné contre le méchant capitalisme (financier) nomade. Que pourrait-elle dire sur les nanotechnologies, sur la mort de Kostas Axelos, sur les controverses mondiales autour de l’oeuvre de John Rawls ou l’Empire de Hardt et Negri ? Elle n’en a tout simplement jamais entendu parler.

     

    François Bousquet : Je te concède que pour les nanotechnologies, l’homme numérique ou encore l’oeuvre de John Rawls, la droite brille surtout par son absence. Mais je dois t’avouer, pour ce qui concerne les «multitudes» vaporeuses de Negri, que je ne pousserai pas le masochisme jusqu’à m’y intéresser. Impossible en tout cas de les prendre au sérieux.

     

    Alain de Benoist : Pas d’accord. Lorsque le livre de Michael Hardt etAntonio Negri a paru, le New York Times l’a qualifié de «Manifeste communiste du XXIe siècle». C’était bien entendu très exagéré,mais il n’en est pas moins vrai que la théorie des «multitudes», que je crois absolument fausse, exerce aujourd’hui une influence notable sur une large partie du mouvement altermondialiste. Quantité de livres et de colloques lui ont été consacrés, et il s’est même créé en France une revue (dirigée par l’un des fils de Pierre Boutang!) pour la défendre. La moindre des choses, quand on se veut attentif au débat d’idées, et surtout quand on est en désaccord avec une théorie nouvelle, c’est de l’analyser et d’expliquer ce qu’on lui reproche.

    Sur les sept cultures de base de l’honnête homme : la culture historique, la culture littéraire, la culture artistique, la culture philosophique, la culture scientifique, la culture psychologique, la culture en sciences sociales, la droite ne maîtrise plus guère, en tout cas, que les trois premières. Plus encore qu’elle n’en est exclue, elle s’exclut elle-même des débats. Obsession de l’entre-soi. Cette droite-là s’enferme d’elle-même dans un ghetto coupé du monde, à partir duquel elle jette l’anathème sur les pourris, les traîtres et les salauds. Délires sur la «subversion», les «agents d’influence», le «gouvernement invisible», les Rouges, lesViets, les fellouzes, les homos et tutti quanti. Complexe obsidional de ces «maudits» qui se font gloire de leur mise à l’écart, en s’imaginant y voir la marque de leur élection ou la preuve de leur héroïque supériorité. Quand on lit le courrier des lecteurs de la plupart des journaux de droite, on est partagé entre le fou rire et l’accablement.

    Mais la gauche, quoique moins atteinte, n’est à bien des égards plus que l’ombre d’elle-même. Le parti communiste est devenu un parti social-démocrate, le parti socialiste un parti social-libéral. Convertis aux «droits de l’homme» et à l’économie de marché, les «repentis» se font gloire d’abjurer leurs anciennes convictions révolutionnaires, les syndicats surenchérissent dans le réformisme, tandis que d’autres se bornent à défendre les sans-papiers parce que le prolétariat les a déçus. La classe politique de gauche s’est radicalement coupée du peuple. L’Italien Massimo D’Alema, qui applaudissait en 1999 au bombardement de la Yougoslavie par les troupes de l’OTAN, ou le Français Dominique Strauss-Kahn, passé sans état d’âme de la direction du PS à celle du Fonds monétaire international (FMI), sont de parfaits symboles de cette gauche qui veut améliorer la société sans en changer et dont la pensée, vidée de toute substance, ne se ramène plus qu’à l’autoréférence narcissique. Renouant avec les sources libérales de la philosophie des Lumières, cette gauche-là a bien entendu abandonné toute pensée critique radicale, toute perspective de révolution.Ce qui rend d’autant plus précieux les rares véritables foyers de pensée critique existant encore en son sein.

     

    Michel Marmin : Comme Alain de Benoist, ce que je reproche le plus à la gauche, c’est d’avoir, en gros, capitulé en rase campagne face à la déferlante libérale. Mais, ceci expliquant cela, je lui reproche aussi d’avoir en fait renoncé à ses propres fondements qui sont, àmes yeux dumoins, une exigence morale kantienne (dont elle continue de se prévaloir) et le refus de l’humiliation. On peut bien entendu critiquer la philosophie de Kant, et la ND n’a pas été la dernière à le faire. Cependant, et cette assertion n’engage que moi, je crois que la morale kantienne avait du bon en ce sens que, la religion ayant cessé d’encadrer les comportements individuels, elle pouvait constituer une barrière à la guerre de tous contre tous et un socle sur lequel pouvait être reconstruite une société moins cruelle (plus juste, si on veut) : c’est la «morale socialiste» prônée au XIXe siècle par des théoriciens socialistes français tels que Benoît Malon et dont on ne retrouvera malheureusement qu’une version caricaturale et parfois franchement comique dans les mouvements de menton de Ségolène Royal, ce qui est peut-être pire que rien. (Soyons très clairs : au second tour de l’élection présidentielle de 2007, j’ai néanmoins voté sans la moindre hésitation pour elle, et ce choix ne m’inspire évidemment pas le moindre remords.) Quant au refus de l’humiliation, dont Malraux a si bien parlé dans L’espoir, c’est en quelque sorte une application directe et essentielle de la morale kantienne. L’égalité bien comprise n’est pas autre chose.

    J’ai été très frappé, au moment de l’affaire Pelat, par cette définition que m’a alors donnée du socialisme un avocat angevin, vieil ami politique de mon père : «Pour moi, le socialisme, c’est la simplicité». Cette définition semblera peut-être un peu courte. Je le crois essentielle et, pour tout dire, «romaine». Je reproche à la gauche d’avoir oublié Plutarque. Quant à la droite, elle a oublié Don Quichotte ! Pire, dans le combat de Don Quichotte contre les moulins à vents, c’est aux moulins à vent que la droite peut être aujourd’hui identifiée…

     

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    François Bousquet : Tout ça, c’est bien beau,mais tu connais la phrase de Péguy sur le kantisme qui a les mains pures,mais qui n’a pas de mains. Vient un temps où ces mains, il faut accepter de les salir un peu…

     

    Michel Marmin : Je crois connaître et admirer suffisamment Péguy, l’écrivain qui m’a le plus marqué depuis que je suis en âge de lire, pour me permettre de dire qu’il avait parfois la formule trop facile, et je crois que c’est le cas ici. La morale kantienne – la morale du devoir pour le devoir, rappelons-le – ne lui était évidemment pas étrangère : c’est bien elle qui a déterminé son engagement dreyfusard, par exemple. Quant à se salir les mains, je ne suis pas sûr que ce soit jamais une nécessité. Ou alors, à condition d’être bien conscient que cette salissure est une tache indélébile et inexpiable, et qu’elle ternit à jamais la fin qui la «justifie», ce dont se moquent éperdument, il est vrai, les «salauds de tous les partis», comme disait justement Péguy.

     

    François Bousquet : Le clivage gauche-droite n’a manifestement plus grand sens pour vous,mais peut-être peut-il encore nous éclairer sur votre itinéraire personnel et celui d’Éléments ? Et comment qualifier cet itinéraire ? De politique ? De métapolitique ? De philosophique ? De culturel ?

     

    Alain de Benoist : Le clivage droite-gauche est apparu à l’époque de la Révolution française,mais les termes de «droite» et de «gauche» ne sont véritablement entrés dans le langage courant qu’au début du XXe siècle (Marx, pour ne citer que lui, ne s’est jamais défini comme un homme de gauche). Cette dichotomie «spatiale» possédait au départ une portée historique, dans la mesure où la «droite» correspondait à une manière de survivance de l’Ancien Régime (valeurs, institutions, idées). Les choses, néanmoins, se sont très tôt compliquées, avec l’apparition de l’orléanisme, ancêtre de la droite libérale, et, à l’autre bout de l’échiquier, avec l’essor d’un mouvement ouvrier politiquement révolutionnaire mais en matière de valeurs beaucoup plus conservateur et traditionnel qu’on ne l’a dit (voir la «décence commune» évoquée par Orwell), raison pour laquelle le socialisme des origines ne se confond pas avec la philosophie des Lumières, dont il lui est pourtant arrivé de s’inspirer, ni d’ailleurs avec la morale kantienne, dont Michel Marmin fait plus grand cas que moi !

    Ce clivage droite-gauche, qui ne recoupe nullement, comme l’a bien montré Costanzo Preve, l’opposition entre l’individualisme possessif et le solidarisme communautaire (le premier n’étant qu’un produit d’exportation idéologique occidental, alors que la seconde a une portée beaucoup plus générale), s’est cristallisé au cours des deux derniers siècles sur des terrains variés : problème des institutions (monarchie ou République), problèmes de la laïcité, problèmes scolaires, problèmes sociaux, etc.Toutes ces problématiques sont aujourd’hui épuisées. Nous sommes entrés dans la post-modernité, qui est une époque aussi bien post-communiste que post-fasciste, une époque dominée par un nouveau mode d’expansion de la Forme-Capital, lui aussi post-bourgeois et post-prolétarien. Les grands événements qui se produisent dans le monde révèlent des clivages nouveaux, qui parcourent de façon transversale toutes les familles de pensée, et qui restent en grande partie à conceptualiser. Même dans le jeu politicien et parlementaire classique, où les termes de droite et de gauche continuent d’être employés, le recentrage des programmes et la «pipeulisation» de la vie publique font que la différence entre droite et gauche est de moins en moins bien perçue. «Soyons modestes et francs : nous ne savons plus clairement ce qu’est la gauche, ni ce qu’est la droite», écrivait Pierre-AndréTaguieff en 2005. L’indistinction entraîne l’indifférence, ce qui explique la volatilité grandissante des choix électoraux. Dans le domaine des idées, enfin, le clivage droite-gauche n’est plus opératoire depuis longtemps, contrairement à ce que prétendent les représentants de la Nouvelle Classe politico-médiatique et la cléricature stipendiée des fonctionnaires de la pensée. Ce qui subsiste peut-être, en revanche, c’est une distinction d’ordre psychologique : les circonstances historiques ont fait qu’il y a une «mentalité de droite» (mais on la retrouve parfois à gauche) et une «mentalité de gauche» (mais on la retrouve parfois à droite). C’est en ce sens, précisément, qu’on peut se référer à la fois à des idées de gauche et des valeurs de droite.

    Plutôt que d’« itinéraire personnel», je parlerais de chemin de pensée (Denkweg).Tout intellectuel digne de ce nom a un chemin de pensée, et tout chemin de pensée suppose un horizon de pensée, lequel se modifie sans cesse sous l’influence de facteurs intérieurs (rencontres, lectures, réflexions) et extérieurs (les évolutions sociales- historiques auxquelles nous assistons). Je crois être un intellectuel assez typique : j’en ai toutes les qualités (rarement reconnues) et tous les défauts (toujours stigmatisés). Le chemin de pensée parcouru par la plupart des auteurs ou des théoriciens permet par ailleurs souvent de distinguer une période de jeunesse et une période de maturité (le «jeune» Goethe, le «jeune» Marx, le «second» Jünger, etc.) – une distinction où le contraste est indissociable de la continuité. Mon chemin de pensée n’a pas échappé à cette règle. Politique ? Métapolitique ? Philosophique ? Culturel ? C’est évidemment tout cela à la fois.

    J’ai parlé de chemin de pensée et aussi de travail de la pensée. Il faudrait préciser ici qu’il y une grande différence entre «penser à» et penser tout court. Penser au rendez-vous que l’on aura demain, penser à aller chercher les enfants à l’école, etc., est tout autre chose que penser – penser la technique, penser le jeu du monde,penser l’emprise du Ge-Stell, etc. La plupart des gens sont capables de «penser à»,mais beaucoup sont incapables de penser. Une démarche de pensée est également tout autre chose qu’une démarchemilitante –même si un intellectuel est aussi capable de consacrer sa vie entière à la défense de ses idées, parfois jusqu’à enmourir d’épuisement.

    Quand ils ont des idées, ce qui n’est pas toujours le cas, les militants en ont généralement une approche utilitaire ou instrumentale : elles ne valent à leurs yeux que par ce qu’ils peuvent en faire. Ils n’aiment pas les pensées qui dérangent et les obligent à se remettre en question. Ils préfèrent les réponses catéchétiques aux questionnements. Les idées sont pour eux, certes des armes,mais aussi et surtout des béquilles ou des réservoirs de slogans. «Les gens ne cherchent pas la vérité, ils cherchent une croyance, ce qui est tout autre chose», dit très justement le philosophe Marcel Conche. Les «petites brutes» dont parlait Bernanos croient qu’il n’y a pas de vérité (à chacun la sienne !) : relativisme intégral et droit du plus fort. Marx lui-même a fait l’erreur de ne pas croire à la vérité philosophique, qu’il ne faut pas confondre avec la certitude scientifique.Moi, je crois à la valeur de vérité de ce qui, dans un horizon de pensée, se dévoile comme tel. Aléthèia.

     

    Michel Marmin : L’évolution d’Éléments est bien sûr consubstantielle à celle de ceux qui l’animent, Alain de Benoist en tête. Je n’ai d’ailleurs pas grand-chose à ajouter à ce que celui-ci vient de dire, sinon que la recherche de la vérité à laquelle il fait allusion, citant Marcel Conche,peut conduire à certaines divergences de vues ou d’analyses. Les lecteurs n’auront pas manqué d’observer par exemple que Pierre Le Vigan est plus «républicain» qu’Alain de Benoist et Alain de Benoist plus écologiste que Pierre LeVigan, ce qui ne veut pas dire pour autant que l’un est plus de gauche ou de droite que l’autre…Loin de l’éclairer, le vieux clivage droite-gauche a plutôt tendance à brouiller le paysage. En soi, il n’a plus aucun sens, sinon rétrospectif, et encore. Ainsi, c’est bien mal connaître l’histoire des mentalités populaires ou ne jamais avoir lu Les misérables que de croire que l’honneur, l’héroïsme, le désintéressement, le sacrifice de soi, sont des valeurs spécifiquement de droite. Ce sont des valeurs tout court, universelles sans doute, qui ont été illustrées aussi bien à gauche qu’à droite. En revanche, elles n’ont plus guère cours aujourd’hui, ni à gauche ni à droite…Un peu plus à gauche qu’à droite tout de même. Et si la droite française est indubitablement moins sectaire que la gauche, c’est parce qu’elle est devenue totalement cynique. À un point tel que je me sens moins déshonoré d’être proscrit par la gauche qu’admis par la droite !

     

    François Bousquet : Vos goûts littéraires, tels qu’ils se manifestent dans Éléments, semblent plutôt de droite, vos goûts cinématographiques plutôt de gauche. Quant à vos goûts intellectuels et artistiques, ils sont plutôt transversaux. Occuperiez-vous toute la scène politique ?

     

    Alain de Benoist : Il s’agit évidemment moins d’occuper «toute la scène politique» que d’être capable d’apprécier sans idées préconçues la valeur des oeuvres. Mais puisque tu parles de cinéma, j’aimerais souligner ici l’importance à mon avis fondamentale de tout ce qu’Éléments, grâce en particulier àMichel Marmin, a pu faire pour tenter d’expliquer à notre public en quoi consistent exactement l’écriture, le style, l’essence même de l’art du cinématographe. Cet effort a été rarement relevé par ceux qui se sont intéressés à la ND – et je ne suis pas sûr non plus que ces explications aient vraiment éduqué le regard de tous nos lecteurs ! –, mais je tenais à le souligner. Cela dit, ton observation me paraît assez juste. Intuitivement, j’aurais tendance à l’expliquer en disant que la grande littérature est un genre «de droite» (ou que les hommes de droite y réussissent mieux), tandis que le grand cinéma est un genre «de gauche» (ou que les hommes de gauche s’y épanouissent mieux),mais il faudrait sans doute aller y voir de plus près. N’oublions pas qu’un film comme La grande illusion (1937), de Jean Renoir, aujourd’hui souvent considéré comme un film «typiquement de droite», fut dénoncé au moment de sa sortie par tous les mouvements de droite comme un film typiquement de gauche ! Quant à moi, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas apprécier en même temps Balzac et Eisenstein, Flaubert et Ken Loach, La Varende et Pasolini, non certes par éclectisme,mais au contraire d’une façon très logique. Si j’en avais le temps, je pourrais en effet dire en quoi, sur bien des points, ils se rejoignent.

     

    Michel Marmin : C’est une question assez difficile…J’aurais tendance à m’approprier la réponse que Léon Daudet aurait rétorquée à quelqu’un qui s’étonnait qu’il se soit fait, lui le directeur de L’Action française, le thuriféraire d’une œuvre aussi «antipatriotique» que Voyage au bout de la nuit : «En matière de littérature, la patrie, je l’emmerde !» L’exemple est d’ailleurs intéressant car Voyage au bout de la nuit a été accueilli comme un grand roman de gauche, célébré par Paul Nizan dans L’Humanité et cité en exergue par Jean-Paul Sartre dans La nausée. Or, qui oserait soutenir en 2010 que Louis-Ferdinand Céline est un écrivain de gauche ? Et pas seulement à cause de son attitude sous l’Occupation! Le pessimisme foncier de Voyage au bout de la nuit, son effroi devant la modernité américaine, son pacifisme et son «antipatriotisme» même, sont incontestablement «de droite» plus que «de gauche», Bernanos et Daudet ne s’y étaient finalement pas trompés. Si la grande littérature contemporaine (mettons, depuis le XIXe siècle) est en effet plutôt «de droite», c’est parce qu’elle est beaucoup moins dogmatique que la littérature «de gauche» et que, s’intéressant plus aux destinées individuelles, donc à la liberté, qu’aux destins collectifs, elle est moins portée à imposer une grille idéologique préfabriquée à la réalité. Mais n’oublions pas qu’il y a de très mauvais écrivains de droite – on ne les lit heureusement plus –, comme Paul Bourget ou Henry Bordeaux, qui ont exactement les mêmes défauts que les pires littérateurs «de gauche». Et, inversement, qu’il existe de grands écrivains «de gauche» dont l’art et la manière ne sont pas systématiquement déterminés par le projet politique auquel ils souscrivent par ailleurs : j’ai déjà cité Aragon et Roger Vailland, je pourrais en ajouter d’autres, dont Paul Nizan justement ou Sartre lui-même. Je suis sûr que La nausée est un très grand livre (c’était aussi l’opinion de Pierre Gripari), je ne suis pas sûr que ce soit un livre «de gauche» (ni «de droite» du reste).

    Pour le cinéma, c’est encore autre chose. Le cinéma a intrinsèquement partie liée avec la modernité dans la mesure où il est un art issu de la révolution industrielle et où, de par ses structures économiques, il reflète assez naturellement les idéologies dominantes, aujourd’hui plus encore qu’hier : en avril dernier, la présidente de la Commission de classification des œuvres cinématographiques (autrement dit, la censure), Sylvie Hubac, s’inquiétait d’une production française «plus consensuelle» que jamais, c’est dire !Art de masse, le cinéma sait être une redoutable machine à décerveler : notre ami Ludovic Maubreuil explique cela mieux que quiconque dans deux essais vraiment fondamentaux, Le cinéma ne se rend pas et Bréviaire de cinéphilie dissidente. Cela dit, force est de reconnaître que les cinéastes qui, actuellement, tentent de briser cette relation totalitaire et avilissante entre le spectacle et le spectateur sont généralement des cinéastes de gauche et même d’extrême gauche, comme Peter Watkins,mais, il y a cinquante ans, c’était un cinéaste de droite et peut-être même d’extrême droite, Jean-Luc Godard, qui avait ouvert la brèche dans le système…Quant à Ken Loach, qu’Alain de Benoist évoque opportunément, voilà un bel exemple de cinéaste de gauche (trotskyste) dont les films exaltent des valeurs que la droite a abandonnées : l’honneur, l’héroïsme, le désintéressement, le sacrifice de soi (cf. supra)…

    J’ai bien conscience de répondre de façon incomplète et très schématique à la question de François Bousquet. Il serait notamment opportun de revenir à fond sur le problème de l’engagement artistique, infiniment plus complexe que ne l’a posé Jacques Laurent dans les années 1950. Ce sera pour une autre fois !

     

    François Bousquet : Pourquoi ne pas avoir abandonné l’étiquette «Nouvelle Droite», source de nombreux malentendus, comme vous y conviait naguère MarcoTarchi ?

     

    Alain de Benoist : Sans l’avoir formellement abandonnée, je l’utilise pour ma part le moins possible. J’ai aussi expliqué, en d’innombrables occasions, combien cette expression, qui n’est pas au départ une auto-désignation,mais une étiquette inventée en 1979 par lesmédias pour désigner un courant de pensée qui existait depuis déjà onze ans, est à mon sens insatisfaisante, car lourde de bien des équivoques. Le grand problème est que nous n’avons jamais trouvé d’expression de remplacement – et aussi qu’il est très difficile de se défaire d’une étiquette lorsqu’elle a connu une fortune aussi durable. Le nom de Nouvelle Culture, que nous avons utilisé quelque temps, était trop vague. L’expression de Nouvelles Synthèses, employée par MarcoTarchi, reste elle-même assez imprécise. Mais tu as raison: cette désignation ne peut être source que de malentendus. La seule façon de les dissiper est de suggérer qu’on s’intéresse au contenu plus qu’au contenant.

    A suivre.

     

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  • Les banlieues malades de la France...

    Le nouveau numéro de la revue Eléments (n°137, octobre-décembre 2010) est arrivé en kiosque cette semaine. Il est aussi possible de se le procurer sur le site de la revue. Le dossier central de cette livraison est consacré aux banlieues.

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    Du fait de l’immigration, le problème des banlieues se ramène pour la droite à un problème ethnique, pour la gauche à un problème social. La vérité est que les deux aspects sont indissociables, mais surtout que le phénomène des banlieues va bien au-delà. On ne peut l’appréhender en s’en tenant, d’un côté à la « culture de l’excuse », de l’autre aux fantasmes sur l’« islamisation ». (…) Les « jeunes des cités » ne remettent nullement en question le système qui les exclut. Ils cherchent moins la reconnaissance qu’un raccourci vers l’argent, qu’un branchement plus direct sur les réseaux du profit. (…)
    Les bandes de crapules qui règnent par le trafic, la violence et la terreur sur les populations des quartiers « sensibles » sont plutôt la dernière incarnation en date de ce que Marx appelait le lumpenprolétariat. (…) Les « racailles » n’aiment pas le populo, mais le pognon. Leur modèle, ce n’est pas l’islam ou la révolution. Ce n’est pas Lénine ou Mahomet. C’est Al Capone et Bernard Madoff. (…)
    La « banlieue » d’aujourd’hui ne se comprend que si l’on est conscient de la profonde mutation qui a affecté la ville. La grande métropole a cessé d’être une entité spatiale bien déterminée, un lieu différencié, pour devenir une « agglomération », une zone dont les métastases (« unités d’habitation », « grands ensembles » et « infrastructures ») s’étendent à l’infini en proliférant de manière anarchique dans des périphéries qui glissent lentement dans le néant. La grande ville n’est plus un lieu. Elle est un espace qui se déploie grâce à la destruction du site et à la suppression du lieu. (…)
    La banlieue se définit par l’absence de pôle, elle est un espace urbain qui a rompu les amarres avec son ancien centre sans pour autant se reconstituer elle-même à partir d’un centre. (…) La banlieue est devenue un non-lieu. On y vit (ou on y survit), mais on n’y habite plus. Le drame est que la société actuelle, qui s’en désole, dénonce des maux (urbanisme sauvage et immigration incontrôlée) dont elle est la cause et déplore les conséquences d’une situation qu’elle a elle-même créée.

    Au sommaire du dossier
    • De la ville-machine à la ville-réseau, par Pierre Le Vigan
    • Quand la ville se défait
    • Ghetto et violences urbaines
    • Pathologie des grands ensembles
    • Le point de vue d’un criminologue, entretien avec Xavier Raufer

    Et aussi…
    • Un fonds culturel patrimonial, la chronique de Frédéric Guchemand
    • Giovanni Papini l’éternel excommunié, par Jean-Charles Personne
    • Science-fiction : le chef-d’œuvre de Fassbinder, par Ludovic Maubreuil
    • La violence civilisée et celle qui ne l’est pas, entretien avec Thibault Isabel
    • Sauver la planète… et répandre le cancer, par Flora Montcorbier et Robin Turgis
    • Mort et résurrection de Léon Tolstoï, par François Bousquet
    • J’ai 23 ans et je lis Éléments, par Mathieu Le Bohec

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  • Polemos

    Nous reproduisons ici "« Polemos » ou de la nature des choses" un texte de Jean-François Gautier publié dans le numéro 33 de la revue Krisis, paru cet été et consacré à la guerre. Jean-François Gautier est essayiste, musicologue et historien des sciences. Il a notamment publié L'univers existe-t-il ? aux éditions Actes Sud.

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    "Le célèbre fragment d’Héraclite Polemos pantôn pater esti a souvent été traduit par « la guerre est mère de toute chose » (1). C’est trop en faire, ou trop peu. La guerre, conflit armé, est certes une expression du polemos, la plus tragique, ou la plus violente, mais elle n’en épuise pas la signification dans la mentalité grecque archaïque. Celle-ci appréhende en effet la différence conflictuelle comme un principe moteur de l’identité, et pas seulement dans les discordes entre personnes ou entre cités. Héraclite lui-même rassemble sous le même modèle, directeur et divin, des oppositions dichotomiques et fondatrices telles que : jour/nuit, hiver/été, guerre/paix, satiété/faim (2), etc. Une telle extension n’est pas propre au poète éphésien. Si l’on examine par exemple le début de la Théogonie d’Hésiode, on trouve un autre type de configuration qui rappelle le polemos héraclitéen : de Chaos naissent, tout à la fois, Ouranos et Gaïa, c’est-à-dire deux opposés apparaissant en même temps que le principe qui les met en relation, Eros (3). Dans cette trilogie initiale, induite de la béance nommée Chaos, l’Eros premier ne produit rien, mais permet à Ouranos et Gaïa de s’éprouver comme différents et d’engendrer. Eros est, en quelque façon, la source féconde dont s’exhaussent d’un même éclair la paternité et la maternité, la différence et l’union, lesquelles initient la production, la génération. Dans une autre théogonie, celle des Rhapsodes, Eros est le produit de l’œuf primitif et, dans le même mouvement, le masculin/féminin, origine du monde. Cette ambiguïté de l’Eros placé à la source des différences, qui les conjoint et les disjoint, exprime dans la mentalité antique une forme divine, une hypostase du polemos tel qu’il procède parmi les hommes, par élection, configuration ou confrontation des dissemblances, ce qui est source de mouvement, de génération. Ce que dit bien la suite, souvent omise, du fragment d’Héraclite cité en premier, indiquant que polemos est basileus pantôn, maître de toute chose : « Il indique leur place à ceux qui sont des dieux et à ceux qui sont des hommes ; il fait les uns esclaves et il fait les autres hommes libres. » Héraclite précise ailleurs que « Polemos est inhérent à tout. Dikè [le droit] n’est rien que dispute [eris], et toutes choses sont engendrées par dispute » (4). En d’autres termes le polemos, catégorie incluant l’eris, joute ou dispute, contient, indiscernables, le conflit sans lequel le droit n’aurait pas de signification (eris), et l’équilibre fécond de la puissance de chacun (eros) ; il en est le principe révélateur en même temps que générique ou, pour reprendre une expression de Cicéron, genus sua sponte fusum, la manifestation d’« une forme qui se développe d’elle-même ».

    Pour comprendre Héraclite, il est ainsi nécessaire d’inclure dans l’intellection de polemos son exact opposé, eïrènè, la paix. Héraclite conteste ici Homère, lequel appelait de ses vœux, dans l’Iliade, la disparition de toute dispute entre les dieux et entre les hommes (5). Au témoignage d’Aristote, Héraclite aurait affirmé qu’une telle annulation des opposés était inimaginable, « car il n’y aurait pas d’harmonie sans l’aigu et le grave, ni d’animaux sans les contraires que sont mâle et femelle » (6). La reconnaissance des oppositions est ici présentée très explicitement comme l’un des éléments ou des objectifs majeurs de la prudence antique, cette vertu propre à la sagesse. L’ancienne médecine en avait tiré ses principes d’analyse des équilibres physiologiques entre le chaud et le froid, le sec et l’humide, l’aérien et le terrien, l’aquatique et le fugéen, toutes choses qui, dérangées de leur contexte, considérées hors du point de vue qui leur donne un sens, paraissent naïves ou fautives à un esprit moderne. Du point de vue antique, celui de la saisie équilibrée de l’ordre du monde et de la coprésence de ses contraires, il faut comprendre, prendre ensemble, les deux termes polemos et eïrènè, deux opposés appartenant à un seul et même processus générateur, universel, qui leste d’un peu de perspicacité ou de clairvoyance l’examen de ce qui se joue dans les relations entre les hommes et entre les cités.

    Il faut tenir compte bien sûr dans cette observation de ce qui est propre à l’humain, et qui constitue au regard des Grecs une erreur fatale, à savoir l’hubris, la démesure. Il existe dans la conduite de la guerre une outrance, inconnue des animaux, et qui est propre aux hommes. Ceux qui mènent une guerre considérée comme sa propre fin, et cherchent à annihiler l’ennemi, font disparaître de l’horizon la paix sans laquelle la guerre n’a pas de signification. Or si la guerre est non pas inclusive mais exclusive de son opposé, elle conduit au désert, à une mort universelle dans laquelle « il ne se passerait plus rien et plus rien ne viendrait au jour » (7). Telle est bien l’erreur des bellicistes, à vouloir anéantir leur ennemi. Il existe une erreur symétrique, celle des pacifistes qui, à préférer la paix à tout prix, préparent leur propre anéantissement, c’est-à-dire leur esclavage chez les autres, comme si la guerre qu’ils condamnent au nom d’une morale individuelle était inessentielle et évitable, alors qu’elle fait partie constituante des relations empiriques, et est en ce sens inévitable, de cet ordre de nécessité à l’œuvre dans ‘il vente’, ‘il pleut’ ou ‘il fait chaud’. Le modèle qui subsume cette alternative est donné, chez les Grecs, par les jeux et la lutte. Non que la guerre entre cités soit un jeu comparable à ceux que pratiquent les enfants ou les athlètes, mais elle doit se soumettre aux mêmes règles de justice et d’équanimité que la joute agréée à Olympie. Le poète Ménage, dans cette lignée-là, à ce qu’en rapporte Littré (8) dérivait le terme français « joute » du latin justus : justa pugna, le combat régulier. C’est seulement « à la régulière » que, du combat, émerge une signification.

    Certes, la transformation des techniques militaires a mené, comme le soulignait Ernst Jünger très tôt après la Grande Guerre, à la mise en œuvre de guerres totales dans lesquelles l’écrasement de l’ennemi, voire son anéantissement, est à l’ordre du jour. Ce développement tendanciel, comme l’ont noté Deleuze et Guattari dans Mille Plateaux, vient déposséder la première fonction dumézilienne de ses prérogatives souveraines d’alliance, au profit d’une seconde fonction guerrière à tendance hégémonique, qui nie l’intérêt de l'accord, du contrat ou du pacte, et refuse de se soumettre au contrôle et aux fins du pouvoir souverain, en s’autonomisant dans ce que Deleuze nomme une « machine de guerre ». Du point de vue d’une telle machine, il est indispensable de détruire l’ennemi. Mais c’est négliger une réalité élémentaire, propre au conflit constitutif de la relation : que les deux adversaires n’existent, d’une certaine manière, que dans et par leur réciprocité, et que la disparition de l’un - même relative - affaiblit l’autre, ne serait-ce qu’en l’inclinant à baisser la garde sans proportion adaptée à la menace. On peut comprendre de cette manière l’absurdité du Traité de Versailles de 1919 qui, en humiliant l’Allemagne, affaiblissait la France, ce que la suite des événements n’a pas manqué de souligner en 1939. Ou, dans la même optique, l’échec des complexes militaro-indutriels américain (Vietnam) ou russe (Afghanistan) sur des terrains où leur supériorité technique était pourtant indiscutable.

    Ici s’éclaire la double nature du polemos qui, parce qu’elle est empirique et non purement rationnelle ou procédurale, superpose plusieurs réalités, et donc plusieurs logiques. Il y a tout d’abord celle de la lutte, qui oppose deux contraires : victoire et reddition. En dehors de la mort qui peut être son destin, le soldat est confronté à cette dichotomie, soit vaincre, soit se rendre. Le point de vue est technique, et dépend des règles et des armes. Mais il y a aussi, associée à la précédente et la subsumant, la logique du conflit, qui met en présence deux autres contraires, polemos et eïrènè, guerre et paix, discorde et traité. En d’autres termes, la lutte en tant qu’expression de la seconde fonction dumézilienne n’exclut pas, mais induit, la guerre en tant que relevant d'une décision de la première fonction. L’histoire moderne a montré à de multiples reprises combien la guerre totale conduit à une impasse en évinçant - au moins temporairement - l’accord potentiel qui donne un sens à la guerre. Les deux derniers conflits français, au Vietnam et en Algérie, ou les derniers conflits américains, au Vietnam et en Irak, sans parler de celui en cours en Afghanistan, ont mené à ce type d’impasse, et ont conduit à des accords tardifs qui, loin de refléter les conditions de la lutte, souvent techniquement victorieuse, ont traduit les modalités de guerres politiquement mal conduites, dans lesquelles l’horizon de la paix avait par avance été négligé, méprisé, voire exclu, dans un processus tel que le motif de la guerre n’ayant pas été éclairci ou précisé, les moyens ont été confondus avec le prétexte, ou le prétexte avec les fins.

    On notera ici combien la lutte, dans la durée, avec les efforts, les volontés, les courages et les énergies qu’elle oppose et engage, oblige au dépassement (alèthéïa) d’un tel oubli de la paix, et au dégagement progressif d’un horizon d’accords ou de contrats sans lequel les belligérants s’enlisent, non seulement sur le terrain, mais aussi dans des querelles politiques internes qui repolitisent immanquablement la guerre externe. Les dernières guerres coloniales anglaises, françaises ou américaines ont montré ce genre de contraintes, telles que c’est bien la menace d’une discorde interne devenue difficilement surmontable, voire le spectre d’une guerre civile (manifestations américaines contre l’intervention en Asie du sud-est, 1967), qui incite à des accords politiques externes concluant les conflits empiriques. Il y a dans ce processus, si l'on peut s'exprimer ainsi, une réinjection d'Héraclite dans Dumézil : le conflit entre deux armées est une apparence ; un autre affrontement se joue aussi dans les guerres, un conflit, dans chaque camp, entre la première et la troisième fonctions. Thucydide en donne un exemple clair, celui de la rencontre des ambassades des Méliens et des Athéniens. Aux premier venus plaider la cause de leur neutralité (tel était l'intérêt de leur faiblesse interne) les Athéniens répondent : « Non, votre hostilité nous fait moins de tort que votre neutralité ; celle-ci est aux yeux de nos sujets une preuve de notre faiblesse ; celle-là un témoignage de notre puissance... » (9) Les conflits internes sont ici clairement décrits comme présents dans les conflits externes ; ils seront donc présents dans leur résolution politique.

    Autant dire que si ab initio le motif de la guerre masque ses fins, le déroulement de la guerre, quant à lui, ne manque pas de rappeler que cette fin est à construire (poïeïen) de manière politique, et non selon une logique militaire ou une technique de la lutte. L’un des rares dirigeants à appliquer cette prudence fut Henry Stimson, secrétaire d’Etat de Hoover de 1929 à 1933, puis dans les administrations Roosevelt et Truman. Il considérait, bien avant la guerre, qu’il serait impossible de nouer des relations diplomatiques avec un Etat conquis et détruit par la force. En 1945, il s’opposa avec fermeté, pour cette même raison, au bombardement atomique de Kyoto, capitale impériale et religieuse d'un Japon millénaire, et premier objectif inscrit sur la liste du général Groves, responsable militaire du projet Manhattan. Il dévia ainsi l’arme fatale vers Hiroshima et laissa relativement ouvert le devenir des relations nippo-américaines, ce que la destruction de Kyoto eût interdit, du fait de sa puissance symbolique.

    Si l’adage clausewitzien selon lequel « la guerre est la simple continuation de la politique par d’autres moyens » a bien un champ d’application dans l’étude polémologique, force est de constater qu'il peut, de manière tout aussi éclairante pour l’analyse des faits, s’inverser en un autre adage selon lequel « la paix est la continuation de la guerre par d’autres moyens politiques », étant entendu que, dans ce cas, le traité n’élimine pas la réalité fondamentale du polemos mais la subsume, au moins durant le temps où les ennemis d’hier s’accordent à appliquer les clauses du traité. Raison pour laquelle tout contrat ou pacte humiliant l’ennemi, et rendant de ce fait ses clauses insupportables et inapplicables dans la durée, prépare certainement la guerre suivante. On peut relire à cette aune les péripéties des guerres du Péloponnèse telles que les transcrit Thucydide, lequel leur donne une typicité universelle « tant que la nature des hommes restera identique ». Il considère que la pensée de la guerre n’est pas pratique, empirique, ou démonstrative par elle-même, mais devient belligène sous l’empire d’une représentation, celle du danger qu’il y aurait, du point de vue d’Athènes, à laisser croître la puissance de Sparte, ou réciproquement. De la guerre en cours et de son horizon plus lointain, Périclès disait aux Athéniens : « Sachez prévoir un avenir noble en même temps qu’un présent sans honte, et qu’un zèle immédiat vous conduise à ce double but. » (10). Il visait les assauts actuels entre cités, en même temps que l’avenir de la Grèce. De sorte qu’il est légitime de reprendre, à propos du polemos, la qualification de diplopie utilisée par Merleau-Ponty à propos de l’ontologie : polemos incline à une double vision, binoculaire, de deux réalités à imager dans le même dispositif, celle du combat technique confié aux militaires, et celle du différend politique arbitré par la souveraineté. Cette diplopie est le signe de la nature même du polemos ; non pas une théorie dont le discours épuiserait les potentialités, mais une réalité sans cesse en devenir, jamais résolue parce que jamais révolue. Autant dire qu’il n’y a pas de plénitude primordiale ou essentielle du politique ; sa réalité polémique le renvoie, comme à son ombre, à ce qu’il doit surmonter sans cesse pour s’exercer pleinement : un polemos équivalant à la « nature des choses » de Lucrèce. En quoi il est bien ce qu’en traduisait Nietzsche : non pas une volonté de puissance, mais un Wille zu Macht, un vouloir vers la puissance.

    Ainsi polemos est mieux compris, considéré comme un processus qui, en tant que tel, n’a ni but ni terme fixé par avance : c’est un horizon nécessaire où se recueille, dans la lutte, sa capacité à éclairer, pour le combattant, l’acte même de lutter et, pour le politique, la disposition de la Cité à assumer ce dont est gros le présent, c'est-à-dire un devenir, son propre devenir. La guerre n'abolit pas l'inimitié réelle, elle se présente plutôt comme l'occasion de son assomption dans l'élucidation d'une impasse politique actuelle. Ce qu'en disaient les Corinthiens venant chercher secours et alliance auprès de Sparte, et plaidant pour cela contre la violation tacite par Athènes des traités antérieurs : « Alliés, nous sommes maintenant face à une nécessité, et cette issue est la meilleure : votez la guerre en ne vous laissant pas effrayer par les difficultés immédiates, mais en aspirant à la paix plus durable qui en sortira. C'est après la guerre que la paix est plus assurée (…). Préparons-nous un avenir sans menace. » (11)

    Le mobile de la guerre serait-il l'espérance (elpis), celle-là même qui gisait au fond de la jarre de Pandore ? Héraclite dit : « Qui n'espère pas l'inespérable ne le découvrira pas : il est introuvable et inaccessible. » (12). Il y a de l'inconnu, et seules les voies de l'expérience créent ce que l'expérience n'a pas encore vécu ni compris. Quand Héraclite dit polemos pantôn pater esti, il n'est pas belliciste. Il constate seulement que vivre est une suite ininterrompue d'apprentissages des relations d'opposition, et une succession de subsumations des contrariétés que l'expérience dévoile. Non que le conflit soit au principe théorique de la réalité, comme sa doctrine la plus sûre, mais plutôt au principe empirique de l'élaboration d'une pensée sage, qui surmonte sans fin les termes des querelles, des dissensions, des compétitions et des ruptures qu'elle découvre comme étant son monde, partagé avec autrui et engendré avec lui. Tout comme 'la guerre à tout prix', le slogan 'la paix à tout prix' n'est qu'un mot d'ordre oublieux de son contraire, et donc paradoxalement belligène. La guerre a un prix. La paix a un prix. Aussi vaut-il mieux laisser au polemos héraclitéen son sens froid de conflit, ce mode d'apprentissage et d'engendrement de toute réalité partagée, par des individus comme par des Cités. Il redevient alors, détaché de la dramaturgie de la guerre, un outil d'analyse efficient.

    On trouvera une application très actuelle des clarifications auxquelles conduit l'analyse polémique, au sens héraclitéen du terme, dans une réflexion de l'anthropologue Claude Lévi-Strauss à propos des pratiquants de l'Islam, décrits comme « incapables de supporter l’existence d’autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l’abri du doute et de l’humiliation consiste dans une 'néantisation' d’autrui, considéré comme témoin d’une autre foi et d’une autre conduite » (13). Si la destruction de gratte-ciels par des avions de ligne (New York, 11 septembre 2001) constitue bien un acte de guerre, elle n'explicite pas pour autant le polemos en cours, auquel répliquerait dans le même registre une invasion de l'Afghanistan. Le polemos, présent bien avant l'acte de guerre, est d'un autre ordre : il réside dans un conflit radical entre l'universel d'une théologie qui n'admet pas d'altérité, et l'universel d'un juridisme formel (droits de l'Homme) qui n'en admet pas non plus. Deux groupes de sociétés culturellement fermées se trouvent ainsi en expansion territoriale sur des terrains communs, et se condamnent réciproquement. L'enchevêtrement des intérêts commerciaux ou énergétiques qui doublent et cachent le polemos fondamental ajoute à la confusion, qu'obscurcissent encore les différences de moeurs ou d'habillements, considérées pour elles-mêmes, hors la souveraineté qui les légitime, contraintes ici par une théologie, libérées ailleurs par un droit. Si les analystes et les chancelleries se penchaient sur les tours et détours qu'emprunte réellement le polemos, ils découvriraient non seulement les ressorts de conflits entre nations, en cours ou à venir, mais encore ceux de bien des conflits internes, latents ou exprimés, entre groupes sociaux ou ethniques. Lesquels menacent le plus gravement, à terme, l'exercice des souverainetés politiques en place ? Les temps à venir apporteront des réponses. Il n'est pas certain qu'elles seront juchées sur des pattes de colombe."

    Jean-François Gautier
    Krisis n° 33 La Guerre

    Notes :
    (1) -Héraclite, Conche fr. 129 = Diels-Kranz fr. 53. « Le conflit est père de toute chose» est une translation évidemment préférable. On rappellera que La guerre, notre mère est le titrage fautif d'une traduction française du livre de Jünger Der Kampf als inneres Erlebnis (1922), mieux transcrit par Le Combat comme expérience intérieure, Bourgois, 1997.
    (2) -Héraclite, C.109 = DK.67
    (3) -C’est l’Eros primitif, à distinguer de l’Eros érotique. Ce second Eros (Hésiode, Théogonie, 201-202) apparaît en compagnie d’Himéros (nostalgie) et Pothos (attraction), et accompagne Aphrodite dès sa naissance.
    (4) -Héraclite, C.128 = DK.80.
    (5) -Iliade, XVIII, 107.
    (6) -Ethique à Eudème, VII, 1, 1235 a 26.
    (7) -Conche, Héraclite, PUF, 1987, p.439.
    (8) -Littré, Dictionnaire de la langue française, s.v. « joute ».
    (9) -Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, V, XCV.
    (10) - Thucydide, G. Pelop., II, LXIV.
    (11) - Thucydide, G. Pélop., I, CXXIV.
    (12) - C.66 = D.K.18.
    (13) - Tristes tropiques, Plon, 1955, p.467
    .

    Il est possible de se procurer les numéros thématiques de la revue Krisis (plusieurs par an) à :
    http://www.alaindebenoist.com/pdf/bulletin_de_commande_krisis.pdf

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  • Les chroniques de la vieille Europe !...

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    Nous vous invitons à découvrir Les chroniques de la vieille Europe, excellente émission mensuelle animée par Patrick Péhèle, Philippe Christèle et Lucien Valdes  et diffusée sur Radio Courtoisie qui est disponible à l'écoute sur le site de l'émission : http://vieilleeurope.free.fr/.

    Dans chaque émission les chroniqueurs commentent l’actualité géopolitique, européenne et culturelle.

    Un invité est reçu autour d’un thème consacré à l’actualité européenne (géopolitique, diplomatie, économie, littérature, cinéma…).

    La dernière émission, diffusée le 22 septembre et que nous vous proposons ci-dessous, était consacrée à la guerre, thème des deux derniers numéros de la revue Krisis.

      
    podcast

    Au sommaire:

     Entretien avec Jean-François Gautier, auteur du texte “Polemos ou de la nature des choses” extrait du numéros de la revue Krisis sur “la guerre ?“. A partir du célèbre fragment d’Héraclite “Polemos pantin pater est“. Pour saisir la portée de la pensée héraclitéenne de la guerre, Jean-François Gautier nous explique qu’il est nécessaire d’inclure dans l’intellection de polemos son exact opposé, eïréné, la paix.

    Jean-François Gautier. Docteur en philosophie. Essayiste, musicologue et historien des sciences. Directeur de l’édition française de l’encyclopédie L’Astronomie (Atlas). A notamment publié L’aventure des sciences (Édition May, 1988), L’univers existe-t-il ? (Actes Sud, Arles 1994), Claude Debussy, la musique et le mouvant (Actes Sud, Arles 1997), Logique et pensée médicale (Avenir des sciences, Paris 2002).

    Actualité Culturelle

    durée 20mn

    Entretien avec Guillaume Martins, directeur de la nouvelle publication du magazine “La Voie Stratégique” – Entretien avec Pierre Bagnuls directeur d’une nouvelle collection au édition Heligoland, “Au Nord du monde” avec la parution du livre de Rasmus Bjorn Anderson, Mythologie Scandinave, la légende des Eddas. Création de la revue Figures de proues.

    Actualité Européenne

    durée 40mn

    Élection en Suède – La visite du Pape en Grande-Bretagne – Analyse de la situation en Turquie, le 12 septembre, 58% des électeurs ont voté « oui » aux 26 questions qui composaient le référendum organisé sur la révision de la Constitution. Sur ce sujet notre émission de septembre 2007 avec Tancrède Josseran  “Turquie, vers la fin du Kémalisme ?” – Allemagne : l’affaire Sarrazin – Intervention de Louis Gallois, Président d’EADS, lors du colloque “Stratégie des grands groupes et politique industrielle française “ tenu le 12 avril 2010.

     

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  • La nouvelle raison du monde...

    Publié en 2009 aux éditions de La Découverte, La nouvelle raison du monde - essai sur la société néolibérale, de Pierre Dardot et Christian Laval, reparaît au format poche chez le même éditeur. Nous reproduisons ici la recension qu'avait Alain de Benoist de ce livre dans la revue Eléments.

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    L'ORDRE NÉOLlBÉRAL

    Ceux qui croient que la crise financière actuelle sonne le glas du libéralisme se trompent. Ceux qui ne voient dans le néolibéralisme qu'une idéologie (l'« idéologie du capitalisme libéré de toute entrave») relevant avant tout de l'individualisme se trompent tout autant. Le néolibéralisme actuel est à la fois autre chose et beaucoup plus que cela. En ordonnant tous les rapports sociaux au modèle concurrentiel du marché, il constitue une norme de vie, et plus précisément une forme de rationalité s'imposant au « gouvernement de soi». Loin de se confondre avec la vieille vulgate du « laisser-faire» propre au libéralisme du XVIIIe siècle, le néolibéralisme (dont on doit rechercher l'origine dans le Colloque Walter Lippman de 1938) ne prône pas un illusoire retour à l'état naturel du marché (il ne se réclame pas d'une ontologie de l'ordre marchand), mais la mise en place volontaire d'un ordre mondial de marché impliquant une transformation radicale de l'action publique qui tend à restructurer, non seulement l'action des gouvernants, mais la conduite des gouvernés eux-mêmes. Bons lecteurs de Michel Foucault, Pierre Dardot et Christian Laval montrent de façon convaincante que le but ultime est d'amener l'individu à produire un certain type de rapport à soi. Le principe de la «gouvernementalité entrepreunariale» (la « bonne gouvernance » ) est que l'individu est tenu, tout comme l'État, de se considérer comme une entreprise à gérer et un capital à faire fructifier. L'effacement par les principes du management de la distinction entre la sphère privée et la sphère publique érode alors jusqu'aux fondements de la citoyenneté et de la démocratie. À cette rationalité désormais dominante, véritable dispositif stratégique global, les auteurs opposent, au terme d'une étude historique de haut niveau, des refus et des « contre-conduites» relevant de ce qu'on pourrait appeler la « raison du commun». L'un des meilleurs livres parus à ce jour sur le sujet.

    Alain de Benoist (Eléments n°132, juillet-septembre 2009)

     

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  • De la fraternité...

    Paru initialement en 2009, Le moment fraternité, essai de Régis Debray, ressort dans la collection de poche Folio essai. Nous reproduisons ici la recension qu'en avait fait Alain de Benoist dans la revue Eléments

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    De la fraternité

     

    Dans la devise républicaine, la notion de «fraternité» est souvent perçue comme celle qui permet d'équilibrer les deux autres, la liberté et l'égalité. Mais c'est aussi celle dont on a le moins souvent traité. Régis Debray, dans un essai véritablement éblouissant, y voit l'occasion de rappeler qu'il n'y a pas de citoyenneté qui vaille sans un projet collectif. « L'individu est tout, et le tout n'est plus rien. Que faire pour qu'il devienne quelque chose ?»

    La fraternité, remède au «royaume morcelé du moi-je»! Belle occasion de revenir sur ce qui est indispensable au nous, à commencer par la référence à une sacralité, qu'elle soit séculière ou révélée, avec ce qu'elle comporte de souvenirs et, parfois, de nostalgie pour une légende héroïque ou un mythe fondateur («la nostalgie est un sentiment révolutionnaire. Je reconnais le conservateur à ce qu'il n'en a aucune »).

    Le sacré, en ce sens, précède le religieux et lui survivra (« On ne se déprend pas du sacré en le sécularisant»). Mais l'idée de fraternité doit être bien comprise. Elle n'est pas l'amitié. Elle n'est pas la solidarité. Elle n'est pas non plus les « droits de l'homme", cette nouvelle religion civile dont Debray n'a pas de mal à faire apparaître la vacuité. La fraternité implique que les hommes se perçoivent comme les enfants d'un même père, mais d'un père dans lequel ils ont choisi de se reconnaître. Dans L'espoir, Malraux disait que « le courage est une patrie ». La fraternité politique, solidarité élective et non pas naturelle, est en ce sens le contraire même de la fratrie. La fraternité est aujourd'hui une notion orpheline, car « une vie à la première personne du singulier une vie mutilée».

    Le nous implique certes une confrontation (entre «eux» et «nous »), mais cette confrontation est aussi nécessaire au vivre-ensemble. «L'abolition des différences, écrit Debray, porte en elle la violence comme le nuage porte la pluie et le devoir de vertu le devoir de terreur". Aujourd'hui, il s'agit de «faire du nous avec du neuf ». Ce grand livre aussi un acte de foi.

    Alain de Benoist, Eléments n°132 (juillet-septembre 2009)

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